Intervention de Emeline K/Bidi

Séance en hémicycle du mardi 30 avril 2024 à 15h00
Motion de rejet préalable — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmeline K/Bidi :

De fait, elle ne sert en rien la justice. Les juristes d'entreprise ne sont pas des auxiliaires de justice. Contrairement aux avocats, ils ne sont soumis à aucune réglementation spécifique, ni à aucune déontologie. En conséquence, ils ne bénéficient pas de la confidentialité des consultations.

La proposition de loi vise à changer cela. Monsieur le rapporteur, vous justifiez cette réforme par un prétendu manque de compétitivité de notre droit. Selon vous, elle facilitera l'installation sur notre sol de directions d'entreprises – celles de grands groupes, j'imagine ; elle évitera en outre tout risque d'auto-incrimination d'une entreprise, en cas d'avis négatif ou critique de son juriste.

En premier lieu, je soulignerai, comme d'autres orateurs avant moi, que ces arguments ne sont étayés par aucune étude d'impact. En effet, le véhicule législatif que vous avez choisi est une proposition de loi, au lieu d'un projet de loi. Une telle étude aurait pourtant été bien utile, en particulier pour documenter l'impact du texte sur la profession d'avocat, que le nouveau statut du juriste d'entreprise semble venir concurrencer.

Vous dites que la proposition de loi est nécessaire parce que les juristes ne sont pas libres d'alerter les entreprises par écrit, faute de confidentialité. En réalité, les juristes ne sont pas libres, point. Ils sont liés à leur employeur par un lien de subordination. Ils ne bénéficient donc pas de la garantie d'indépendance qui caractérise la profession d'avocats, lesquels bénéficient, en contrepartie des règles auxquelles ils se soumettent, de la confidentialité de leurs consultations.

Dans un arrêt du 14 septembre 2010, la Cour de justice de l'Union européenne a ainsi jugé que « l'exigence d'indépendance implique l'absence de tout rapport d'emploi entre l'avocat et son client, si bien que la protection au titre du principe de confidentialité ne s'étend pas aux échanges au sein d'une entreprise ». Un lien direct est donc établi entre indépendance et confidentialité : ce sont les deux revers d'une même médaille. Ce lien n'existe que chez les avocats. Les juristes d'entreprise n'étant pas indépendants, ils ne peuvent pas bénéficier de la confidentialité de leurs consultations : c'est aussi simple que cela.

En réalité, ce sont non pas les juristes mais les entreprises qui les emploient qui bénéficieront de la confidentialité. À cet égard, l'article 1er est éclairant : il précise que les consultations couvertes par la confidentialité sont exclusivement destinées à l'entreprise. En cas de procédure civile, commerciale ou administrative, elles ne pourront ni faire l'objet d'une saisie ou d'une obligation de remise à un tiers, y compris par une autorité administrative – ce qui, les orateurs précédents l'ont dit, est fort critiquable –, ni être opposées à l'entreprise ou aux entreprises du groupe.

Cette proposition de loi est un danger pour la profession d'avocat. Le barreau de Paris ne représente pas l'intégralité des avocats de France et le Conseil national des barreaux (CNB) s'est prononcé à une large majorité contre ce texte. Nous avons l'impression que vous nous resservez l'avocat d'entreprise, dont la création avait été rejetée par l'Assemblée.

Au-delà, les risques d'abus et de dissimulation de preuves qui pourraient découler d'une telle mesure sont inquiétants. Dans le cadre d'un litige judiciaire ou d'une procédure engagée par une autorité de contrôle, cette confidentialité entraverait un travail d'enquête déjà difficile.

Le Conseil national des barreaux nous a informés qu'il s'opposait fermement aux mesures contenues dans cette proposition de loi. Il considère qu'elles sont porteuses d'incertitudes juridiques de nature à nuire aux intérêts des entreprises et à complexifier le droit. Il estime que le texte est porteur d'inégalités entre les entreprises, qui n'ont pas toutes les moyens d'employer un juriste d'entreprise ; qu'il entravera l'accès des justiciables à la preuve, lequel est consubstantiel au droit au procès équitable ; enfin, qu'il remet en cause la protection des lanceurs d'alerte et le droit à l'information des citoyens.

Pour toutes ces raisons, notre groupe partage la position du CNB et votera contre ce texte.

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